Un jour un homme d'âge moyen frappa à notre porte. Il était maigre, il avait un aspect austère. Il nous dit qu’il avait entendu parler de nous dans un article de journal qui l’avait très touché. Il avait lu que notre famille accueillait un bébé séropositif. Drôle de coïncidence, il provenait d’un endroit qu’on connaissait très bien. C’était un artiste, il faisait des sculptures dans la pierre et dans le marbre. Il venait de participer à l'exposition de « Nanto Pietra » qui se déroulait chaque année à Nanto, un pays à coté de Castagnero (d’où nous venions à peine de déménager). Sur la grande place blanchie par la poudre de la pierre bérique dans laquelle étaient façonnées les sculptures, les artistes en compétition entaillaient et polissaient leurs œuvres en public. Chaque année nous allions admirer ces sculptures réalisées avec la pierre des caves du coin. Nous restions chaque fois ébahis par la vitesse avec laquelle ils procédaient pour obtenir des figures artistiques de ces imposants blocs de calcaires et de comment ils s’efforçaient d’en assouplir les lignes si anguleuses jusqu’à donner une âme à ces gigantesques totems blancs. Durant le trajet du retour, en direction du nord, l’artiste avait décidé de faire une petite déviation pour venir nous connaître.
Dix minutes après s’être assis à la table de notre cuisine, il s’effondra en larmes. Il nous raconta de sa femme morte de sida, deux ans auparavant. Il la décrivait comme quelqu’un d’intègre, sauf qu’avant de le connaître elle avait eu une histoire d’amour avec un garçon qui l’avait contaminée. Une relation brève, nous confia-t-il, mais fatale. Il savait combien de préjugés suscitait cette maladie. Il n'avait jamais osé en parler à personne, par peur de souiller la mémoire de sa bien-aimée. Lui et sa femme étaient belges, de religion protestante. Bien que sa religion fut différente de la notre, il nous dit d’avoir perçu une foi profonde dans toute notre histoire et c’est ce qui lui avait donné le courage de nous rendre visite. Ce jour-là nous avions connu un des mille aspects de la pauvreté. Celle-ci s’était présentée sous la forme d’une jeune femme, morte d’une maladie considérée honteuse, ensevelie sous le secret du silence et d’un homme enfermé dans sa prison de douleur pour l’avoir aimée. Avec nous le sculpteur s’était enfin senti chez lui, entre semblables. Nous l’avions écouté avec un profond recueillement. Lui s’était finalement libéré.
Celle-ci a été la visite la plus émouvante que nous ayons jamais eue.
Extrait traduit du livre Da Bruco A Farfalla, Nadine Léon.