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Au Japon l'expression artistique, qu'elle soit visuelle, poétique, architecturale et même culinaire, répond à des codifications semblables. Trois des principes fondamentaux sont le symbole, la sobriété et le vide (vu comme espace qui à la fois sépare et relie).
- Au contraire, le tanka jaillit du cœur, il exprime l’intériorité du poète en empathie avec la nature, dans un procédé harmonieux. Néanmoins, bien que le tanka naisse d’un sentiment intime, l’auteur ne reste pas replié sur lui-même. À travers ce qu’on appelle un pas de coté, le poème se termine sur une vision plus ample comme dans cet exemple :
Dans la nuit stridulent
les grillons des herbes sèches
cherchant la fraîcheur
allongé dans le jardin
pour tout drap la Voie Lactée
Erico Rico, Je ne suis pas à bout d’amour
Tanka
la cloche du temple s'arrête
mais le son ne cesse de sortir des fleurs
Basho
Haïku
Dans l’idéal, son objectif est de porter à un niveau de stupeur, arrêtant ainsi momentanément le flux du mental chez le lecteur, motif pour lequel le haïku doit être succin et offrir les images à peine nécessaires, sans fioriture.
dans l’ombre des arbres
mon ombre bouge
lune d’hiver
Masaoka Shiki
Haiku
Ne rougissez pas !
Les gens devineront
que nous avons dormi
sous les plis de cette étoffe
frottée de racine pourpre
Izumi Shikibu
Lune d’encre – Poèmes d’amour et d’impermanence
Tanka
- Le zen est une branche du bouddhisme. Il repose sur la pratique qui consiste à passer de la concentration mentale à la concentration sur le corps pour arriver à la conscience de notre simple appartenance à la nature, afin d’accéder à l’union avec le tout.
Basho, considéré le maître à l’origine du haïku, était un poète itinérant et son intérêt pour le zen donna cette empreinte spirituelle au haïku. Personnellement je trouve que le haïku est très proche de la méditation. C’est dans le silence intérieur que peut se produire le vide nécessaire à l’ouverture spirituelle, qui n’est autre pour moi que la réceptivité à l’énergie cosmique circulant dans tout l’univers et créant un lien entre toutes choses, en nous et autour de nous.
tombée du jour –
dans le jardin seulement
le chant des insectes
Ryokan
Le tanka est une forme de poésie lyrique qui utilise le rythme et la musicalité des mots. Il désigne un chant court prononcé à voix haute. Le mot se matérialise en son et met en vibration un espace de résonance que l'autre perçoit et qui le touche émotionnellement. Dans le shintoïsme, chaque son est considéré sacré, en outres la puissance du son entre en correspondance avec la puissance du nombre. Dans le tanka cela signifie que la sonorité associée au rythme fixe des vers de 5 ou 7 syllabes pour un total de 31, développe certaines vibrations qui rejoignent celles d’un son cosmique primordial, comparable à ce qui se passe avec les incantations ou avec la musique.
La version écrite du tanka date du Man’Yôshû, la première anthologie publiée en 760, mais en réalité ce poème provient d’une antique tradition orale. Une légende veut que le premier tanka ait été prononcé par Susanoo, le kami de la tempête et des océans, reporté dans le Kojiki qui contient les mythes shintoïstes :
« Des nuages se rassemblent à Izumo
des murs solides j’érige autour de mon épouse des murs solides »
La répétition est typique des incantations.
Le tanka dérive des chants pour les kamis, déités japonaises et nombre d’entre eux étaient de véritables formules magiques (majinai no uta). Dans le Man’yoshu certains sont reconnaissables aux mots-oreillers, makura kotoba, une figure rhétorique énigmatique. Leur présence s'explique plus pour leur effet sonore que pour leur sens, ce qui nous renvoie au pouvoir spirituel des mots.
Y a-t-il encore de la place pour les tankas spirituels dans notre monde enfermé dans un matérialisme et un rationalisme exacerbés ? Heureusement oui ! Bien sûr, avec un impact différent.
Au commencement
vient ce désir primordial
résonance des âmes
j’aspirais à une joie
voguant vers cet infini
Patrick Simon, À l’interstice du noir et blanc
Le haïku et le tanka sont surtout des poèmes de l'impermanence. Malgré cette caractéristique ils ont su résister au passage des siècles et se sont évolués jusqu’à devenir de la poésie contemporaine, certains se sont même urbanisés, d’autres ont abordé des thèmes engagés.
Je crois que leur longévité est due au message important qu’ils transmettent. Tous les deux sont selon moi une invite à renouer avec la nature et avec sa propre intériorité. Le haïku demande de ne pas rester fixés dans le mental, mais d’apprendre à écouter le monde avec nos sens et de redimensionner notre rapport avec l’espace-temps : vivre l’instant présent, oui, mais inséré dans le flux de l’éternel (représenté par un kigo, mot de saison), sans oublier nos racines et sachant que chaque geste a un impact sur le futur. Le tanka invite à écouter et à s’exprimer avec le cœur pour une relation d’empathie avec le monde.
Bleuets délicats
piquetant les champs de blé
un parfum d’oubli
les enfants de mes enfants
de quoi vont-ils hériter
Jean Irubetagoyena, Le temps n’est qu’une illusion
Tanka