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Récemment je cherchais quelques unes de mes poésies avec l'intention de les publier sur un site d'écrivain, ayant le projet d'en ouvrir un pour présenter mes ouvrages. En fouillant dans mes écrits je suis tombée sur mes vieux cahiers. J'aime bien les ouvrir de temps en temps sur une page au hasard. Je le fais avec mes ouvrages ou bien avec certains livres de poésie ou de spiritualité que je tire périodiquement hors des étagères pour les laisser traîner sur les meubles et les faire voyager un peu dans toutes les pièces principales afin de pouvoir les consulter et en lire ou en relire quelques lignes durant la journée. Certains fonctionnent comme de vrais oracles. Lorsqu'une phrase me touche plus intensément que d'autres je l'écris sur une petite ardoise qui se trouve dans l'entrée de la maison. Ses mots finissent par résonner et par habiter pour quelque temps l'espace de ce lieu de passage, un peu comme ces graffitis qu'on écrit sur les murs des villes.
Ce fut le cas pour quatre vers libres qui ont pris vie et qui m'ont interpellée. Ceux-ci se trouvent dans la poésie intitulée Vertige qui fait partie de mon recueil Le néant à vider. Je tenterai maintenant d'en ébaucher l'analyse de texte. Les voici :
Femme assise
dans l'espace brisé
en quête de
réciprocité
Dans l'écriture automatique les paroles qui affluent anticipent la pensée consciente, comme si elles étaient déjà là avant qu'on ait pu les formuler, hors de la volonté de celui qui écrit. Ceci advient parce qu'elles proviennent du même lieu d'où proviennent nos rêves. Il arrive que ce soient des visions de notre partie subconsciente portées à notre conscience sous la forme de messages souvent hermétiques. Ils peuvent nous parler de certains aspects cachés de notre paysage intérieur et nous révéler quel chemin il est préférable d'entreprendre. Souvent, c'est notre intuition qui nous avertit par le biais de son langage arcane en nous donnant des signes prémonitoires sur ce que la vie pourrait nous réserver. Ces messages ne sont pas toujours immédiatement compréhensibles, pas même pour celui qui les reçoit directement. Il m'est arrivé de comprendre certaines de mes poésies des années après les avoir écrites ou de me rendre compte qu'elles avaient anticipé telle phase particulière que j'étais en train de vivre, tout comme les rêves que je faisais de nuit et que je recueillais à mon réveil. Sans passer nécessairement par des cas particuliers de prémonition, ces activités poétiques et oniriques constituent un excellent matériel pour procéder à l'introspection et à une analyse profonde de soi.
Je crois que la meilleure approche d'une poésie c'est la non-interprétation, c'est la recevoir simplement en soi et la laisser agir. C'est faire silence pour lui permettre de s'emparer de nous. La poésie devrait se traduire en expérience intérieure. Ceci a priori. Cependant la poésie est aussi un message qui se présente souvent à des différents niveaux de compréhension. Réussir à le cueillir dans toute son ampleur devient un enrichissement voire une révélation qui pourrait nous aider dans notre évolution.
Cette ''quête'' dont parle la poésie citée dans la page précédente était avant tout la mienne.
Pour retourner à l'époque où je l'ai écrite, je fréquentais l'université de Grenoble où j'étais inscrite à la faculté des Lettres Modernes. J'étais alors un esprit errant, toujours en quête de je ne sais quoi. J'errais de rue en rue, de lieu en lieu, de travail en travail et d'amour en amants… Je vivais mes 20 ans dans la tourmente. Et pourtant j'aimais ma façon de vivre, entre le style bohème et celui hippy, entre campus universitaire et vieil appartement en ville où on m'hébergeait ou que l'on me prêtait momentanément. Dans un dernier temps, j'ai aussi vécu à la « Villa », une maison des années '30 située en plein Grenoble, faisant ainsi une expérience de vie en communauté avec d'autres de mes semblables. J'étais en quête de moi-même bien sûr mais je cherchais aussi l'amour vrai, l’âme sœur, un certain équilibre, un sens à ma vie, un sens à la vie et à tout l'univers, et j'étais continuellement insatisfaite de la façon dont je vivais intérieurement. En fait je cherchais la vérité, la vraie vérité, comme j'aimais l'appeler, et la mienne, même si je ne le savais pas vraiment, était une quête spirituelle.
Et si ce qu'on disait sur le fait d'avoir 20 ans était vrai, que j'avais vraiment tout pour être heureuse, et bien moi c'est ce tout que je voulais. Mais c'était quoi exactement? Face à cette question que je me posais, j'avais l'impression que seul le néant parvenait à me répondre...
''Femme assise'' : pour s’asseoir il faut s’arrêter et ce n'était pas trop mon cas. Je marchais beaucoup, mais j'avais plutôt l'impression de ne pas trop avancer. Toutefois cette position assise peut signifier que le mouvement du mental se stabilise pour laisser place à l'observation. La femme assise est celle qui observe, qui prend ses distances, détachée du monde. En cette période je parlais très peu et je préférais observer le monde qui m'entourait. Je cherchais dehors ce que par la suite j'ai trouvé dedans, la réponse était en moi. ''Femme assise'', c'est la position que j'ai prise quelques années après, lorsque j'ai finalement trouvé ma stabilité. Je me suis assise à même le sol, les jambes croisées dans la position du demi lotus. C'est la position de la méditation que je me suis mise à pratiquer quotidiennement. Méditer c'est s'élever, c'est aller au-delà, au-delà du corps et du mental, pour pénétrer dans un autre espace, une autre dimension, celle de l'esprit. La méditation mène au-delà du physique, au-delà des mots et des pensées, vers le silence profond de l'intériorité, vers une autre réalité qui va au-delà de l'apparence. Méditer, ce n'est pas s'isoler, c'est au contraire devenir conscient d'une réalité bien plus vaste et du lien qui nous unit tous à l'univers. Méditer, c'est entrer en connexion avec la dimension du divin et de l’énergie primordiale. La méditation appartient au domaine de l'expérience pratique, elle a été souvent définie comme une altération du mental puisqu'elle te fait sortir du carcan d'un conditionnement auquel nous sommes tous soumis, constitué de nos préjudices, de l'élaboration d'une fausse réalité et du flux et reflux incessant de nos pensées...
''dans l'espace brisé'' : à part celui qu'on occupe, l'espace peut désigner à la fois une dimension intérieure ou bien l'espace cosmique, l'univers dans lequel nous sommes immergés. L'espace c'est aussi la distance qui divise deux points. Ici l'espace est brisé, ce qui signifie qu'il y a eu une rupture, quelque chose qui était et qui n'est plus, créant une impression de disharmonie, une déchirure abyssale où s'engouffre le néant, où s'insère un sentiment de séparation.
''en quête de'' : dans ce vers, on voit l'intention se définir. La quête représente l'action, un mouvement qui tend vers l'objectif pour le réaliser. Normalement on cherche ce qu'on n'a pas, ce qu'on a perdu ou ce qu'on croit ne pas avoir.
Enfin, avec le dernier mot, l'objet de la quête apparaît clairement : l'objectif est la ''réciprocité'' qui n'est autre que ce lien d'empathie qui abat les divisions. La réciprocité, c'est l'énergie qui circule librement entre deux sujets pour former un rapport d'entente, de partage, de solidarité et qui crée un sentiment d'union. Pour entrer dans un rapport de réciprocité il faut être au moins deux. Qui sont les sujets de cette quête, de cette intention ? Le texte ne présente aucune ambiguïté, ce sont cette femme assise et cet espace brisé. Ils s'appellent l'un l'autre dans le même désir de retrouver une connexion.
Ce petit extrait de quatre lignes contient le sens caché de tout le recueil, dans ces quelques mots tout prend signification. Ceux-ci indiquent aussi le sens de la marche, c'est-à-dire la direction à suivre. Lorsqu'on entre en rapport de réciprocité avec l'univers, on devient solidaire avec lui. C'est alors que l'univers nous parle et que nous pouvons reconnaître son reflet en nous. Nous en faisons partie et nous sommes une représentation, une matérialisation de son énergie.
Le fait que le texte parle de la femme et non pas de l'homme n'est pas un hasard. Je n'entend pas exactement le mot femme comme le genre féminin mais plutôt comme celle qui nous habite tous intérieurement, indépendamment de notre genre masculin ou féminin. Je parle du principe féminin, celui du pouvoir de l'intuition, de la créativité, de la nature à l'état sauvage et aussi celui qui nous pousse à prendre soin de notre entourage. C'est souvent la part manquante, piétinée, bafouée, offusquée comme on offusque la Terre qui porte la vie en soi. Donner trop de pouvoir au principe masculin a conduit toute la planète vers un déséquilibre fort préoccupant. Le moment est arrivé pour que le principe féminin s'élève, sorte à la lumière du jour. Le message que j'ai reçu est un message pour tous. La réciprocité entre nous et l'univers, l'évolution et le renforcement de la partie féminine de l'humanité, le retour à notre vraie nature sont les éléments nécessaires pour un profond développement. C'est ce que la Vie à travers nos erreurs et leurs conséquences est en train de nous demander. L'univers, la nature, la vie échappent souvent à tout raisonnement. Ceux qui cherchent à faire tout cadrer dans les limites échafaudées par leur mental et par leurs intérêts économiques devraient apprendre à s'abandonner au mystère, à utiliser l'intuition et pas seulement la logique pour comprendre le réel. La réciprocité c'est donner et recevoir, sans compter et sans rien attendre en retour. Elle possède une force équilibrante. Non plus un monde à sens unique, basé exclusivement sur le prendre et sur l'avoir, sur la logique du gain, sur l'exploitation exacerbée de la nature, des autres, sur le matérialisme et sur la raison. Construisons un monde de l’être et de l'amour, un monde basé sur le dialogue, sur l’humilité et sur le respect. Redonnons de l'importance à nos rêves. Ils nous parlent d'un monde meilleur. Écoutons-les. L'unique voie qui se présente à nous se trouve dans l'équilibre de la réciprocité, entre raison et intuition, entre amour de compassion et technologie moderne. C'est sous cette perspective que s'inscrit le caractère contemporain de ce message.
--Nadine Léon.