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"Dans la vérité et le jaillissement de ses mots, Sylvain Nanad invente et réinvente la poésie page après page."
Avant d'entreprendre la lecture du recueil, je conseille vivement de lire la préface de Danièle Duteil, dont j'ai extrait cette citation, car elle lui donne un éclairage riche et émouvant, méritant bien le détour.
Nami contient une soixantaine de tankas et commence entre autres avec cette dédicace évoquant la cyclicité du temps :
"à la mémoire des jours que nous avons semés,
à l’avenir qui va en naître…"
L'auteur camerounais alterne des poèmes sensuels, ironiques, voire philosophiques à des poèmes engagés. Dans ses compositions il s'est affranchi de la contrainte du 5/7/5 - 7/7 du tanka traditionnel pour adopter un rythme plus libre, bien que les codes spécifiques de ce genre poétique soit respectés.
Je rappelle que le tanka provient d'une tradition millénaire, très en vogue au sein de la Cour Impériale japonaise, et qu'il confronte souvent les sentiments humains à la nature. Réservé initialement à une élite, il est devenu plus populaire au fil des temps. Le long de l'évolution historique du Japon, des auteurs ont commencé à composer des poèmes engagés, notamment contre l'injustice ou la pauvreté, au risque d’être persécutés par les autorités.
En particulier Takuboku, poète innovateur du début du XX siècle (fin de la période Meiji), est considéré au Japon comme un symbole de la lutte sociale, fameux également pour ses larmes et son hypersensibilité. Le hasard a voulu que je découvre les tankas de Takuboku tandis que je faisais la recension de Nami, ce qui m'a amenée à faire un rapprochement entre ces deux auteurs, bien que d'époques et de continents différents.
Ce Tanka de Sylvain Nanad m'a rappelé les compositions de Takuboku qui préférait lui aussi l'expression du cœur au respect stricte de la forme. Dans la strophe finale, le pas de coté suggère avec ironie combien les récriminations soient perçues comme des paroles dans le vent. L’humorisme de certains poèmes atténue à peine les sentiments de révolte ou d'impuissance qui semblent animer leur auteur.
La lecture de Nami a été pour moi une invite à approfondir ma connaissance du Cameroun, dont je ne savais pas grand-chose, afin de mieux comprendre le contexte de ses écrits.
Le Cameroun se trouve en Afrique centrale, dominé par des massifs forestiers avec une ouverture sur l'océan Atlantique. Il est encadré par divers pays, notamment le Nigeria et la République Centrafricaine. Son climat se subdivise en tropical et équatorial, les précipitations abondantes peuvent devenir violentes. Confronté à différents problèmes politiques, socio-économiques et religieux, le Cameroun connaît une crise sécuritaire depuis près d’une décennie. Il est en effet victime de la violence de certains groupes extrémistes à l’origine de nombreux massacres. Au niveau politique on parle d’un régime autoritaire. Le pays est dirigé depuis presque 40 ans par le même président. Sa capitale politique est Yaoundé, la capitale économique le port de Douala.
Dans Nami, la plupart des tankas dénoncent, toujours de façon subtile, l'injustice sociale, l'inégale répartition des richesses, la violence, le militarisme. Pour renforcer le message des deux poèmes ci-dessous, l'auteur a mis en opposition les deux expressions composant traditionnellement le tanka :
De nombreux tankas abordent le thème de l'amour. La plupart du temps ils sont empreints de sentiment ou d'érotisme tandis que certaines expériences sont affrontées avec humour. La Femme, que ce soit en tant que mère, amour ou amante, occupe une place importante dans Nami et l'auteur sait imprégner ses compositions d'une atmosphère très sensuelle ou sentimentale :
L'auteur offre souvent un regard ironique, notamment sur la misère du monde, sans doute pour contraster la réalité décevante d'un vécu personnel ou bien la réalité tragique de son pays. En effet cette ironie parcours un peu tout le recueil, rejoignant parfois un ton plus âpre :
Dans ses tankas l'auteur se confronte avec la société où il vit, révolté par la brutalité et la souffrance qui en découle, ou bien avec sa relation aux femmes, chantant l'amour et la beauté, parfois les vicissitudes. Son recueil est parsemé de confidences souvent très touchantes.
Il s'exprime avec les mots de l'émotion, une émotion qui semble jaillir de l'immédiat comme un mouvement, un élan qui va directement du cœur à l'écriture, pour aller se répercuter dans l'intériorité du lecteur.
La sensibilité et la subtilité des poèmes finissent par créer un sentiment d'empathie envers le poète et son ressenti, envers le peuple de son pays mais aussi, dans un sens plus général, envers notre humanité dans ses aspects les plus tourmentés.
Nami de Sylvain Nanad, une voix authentique et courageuse, attirera certainement d'autres lectures de ma part car le tanka est un poème qui suggère sans énoncer, laissant au lecteur le soin de l'interpréter et de le ressentir selon le propre état d’âme, selon sa prédisposition du moment. Et peut-être trouverai-je d'autres trésors, ombres et lumière, joie et douleur au rythme d'une Afrique déchirée et pourtant si pleine de vie.
Un recueil à lire avec le cœur...